Moronga de Horacio Castellanos Moya (El Salvador) par Julie Werth

Horacio Castellanos Moya, Moronga, Métailié, 2018, traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis, 352 p., 22 € [Moronga, Random House, 2018]

Moronga est le roman polyphonique de deux solitudes. Deux exilés salvadoriens qui tentent une nouvelle vie à Merlow City, ville-campus du Wisconsin.

José Zeledón, ex-guérillero, devient chauffeur de bus puis employé à la surveillance informatique des personnels enseignants de l’Université dont fait partie Erasmo Aragón, professeur d’espagnol qui cherche à résoudre, en se plongeant dans les archives de la CIA, l’énigme de l’assassinat du grand poète salvadorien Roque Dalton. Ils ne se connaissent pas, ne se parlent pas mais leurs destins sont unis de manière presque fortuite dans la grande scène finale du roman que le lecteur découvre à travers le récit factuel d’un rapport de police. Marquée par une violence inouïe, cette fin symbolise l’irruption inexorable du passé dans l’existence des deux personnages narrateurs et est annoncée par l’auteur dès le début du roman par l’auspice tragique d’une épigraphe tirée de l’Oreste d’Euripide. 

Cette analyse détachée des faits, censée rapporter la vérité, tout comme la volonté de transparence et de surveillance obsessionnelles des États-Unis, subtilement décrite dans l’œuvre, tranchent avec le récit principal fait par ces deux voix qui s’expriment sous la forme de monologues intérieurs, flux continus de pensées, plus ou moins hantés et torturés par le passé. C’est que la vérité se fait jour non pas devant les caméras ou dans des archives déclassifiées mais dans les méandres de consciences, tyrannisées par la mémoire, la paranoïa ou la culpabilité. 

Roman noir au regard acéré sur le puritanisme, l’exclusion et la violence aux États-Unis, le livre fait aussi écho à l’ensemble de l’œuvre d’Horacio Castellanos Moya, vaste fresque qui permet de prendre conscience à travers la subjectivité de personnages récurrents ou de leurs ancêtres [1], de l’histoire troublée du Salvador, notamment de la guerre civile, des douleurs de l’exil et de l’impossible métamorphose des individus marqués par les traumatismes du passé[2].

Julie Werth


`[1]  Voir notamment La mémoire tyrannique, qui met en scène l’histoire des parents et des grands-parents d’Erasmo Aragón au Salvador et Le rêve du retour où Erasmo Aragón en exil au Mexique se prépare à rentrer au Salvador. Ces deux romans ont également paru aux éditions Métailié.

[2]  Voir dans ce numéro l’entretien de la rédaction avec Horacio Castellanos Moya.