Entre hombres de Germán Maggiori (Arg) par Axel Moller

Germán Maggiori[1]Entre hombres, traduit de l’espagnol (Argentine) par Nelly Guicherd, La Dernière Goutte, 2016, 372 p. [Entre hombres, Alfaguara, 2002]

« L’action est la seule chose qu’il ne faut pas perdre, même une seconde », dit Camaléon, un personnage d’Entre hombres, à une fille dans un boliche[2]. La phrase, en quelque sorte, explique le livre. Le roman commence par une orgie entre des personnalités politiques de premier plan et des prostituées des bas-fonds. Lors de cette fête, une des filles meurt pour avoir ingéré de la cocaïne « trop pure ». Une caméra qui a enregistré toute la scène, produit une vidéo qui disparaît mystérieusement. Le chantage exercé sur ces personnalités déclenche un effet domino qui ébranle tout le système corrompu : des plus hautes sphères politiques aux chorros[3] de la périphérie dudit système, tout le monde parle de la vidéo. 

Dès le début, le rythme du livre ne ralentit pas.

Comme s’il s’agissait de l’esprit d’un cocaïnomane, il n’y a pas un seul moment dans Entre hombres où il n’y ait une tension présente, une tension paranoïaque qui, à certains passages, peut devenir presque insupportable. Cette tension imprègne le lecteur d’une fébrilité qui pourrait ressembler à la toxicomanie omniprésente dans le livre. Grâce à cette frénésie, on peut s’identifier à toute une batterie de personnages hétéroclites. Des inspecteurs sadiques et corrompus qui récitent les règles au fur et à mesure qu’ils les enfreignent, des agents de renseignement insaisissables avec des portraits de dictateurs fascistes dans leurs bureaux, des voleurs délirants et un groupe d’amis qui n’ont qu’une seule consolation : l’autodestruction. Le tout saupoudré de la drogue à la mode de l’époque : la cocaïne. Cette faune et cette flore synthétique vivent et meurent dans le Buenos Aires (ville et province) de 2001, avant l’explosion sociale qui conduira à la pire crise économique en Argentine. Une Argentine en partie issue du « ménémisme », courant politique à forte empreinte libérale qui a dominé la vie publique dans les années 1990. Enfants d’une génération perdue. 

Maggiori qui a publié ce roman la même année où il se déroule et qui, en raison d’événements politiques passa presque inaperçu, réalise quelque chose d’assez spécial : un livre dans lequel tous les personnages sont des voyous, où il n’y a pas d’antagonistes. C’est peut-être le destin, ou les multiples structures corrompues qui engendrent des écosystèmes de cette nature, mais aucun des personnages n’a l’intention de ne faire rien d’autre que de survivre dans la jungle impitoyable d’un pays sans règles claires. Et qui sommes-nous pour juger de la nécessité de survivre ? L’écrivain fait une coupe chirurgicale dans le tissu social de l’Argentine en 2001 et nous invite à jeter un coup d’œil à ce qu’il y a à l’intérieur. Avec une prose au rythme effréné et dans un registre qui ne semble pas porter de jugement, cet auteur de Buenos Aires nous rend service : pendant trois cents pages, il rend transparent un monde qui se distingue par son opacité. Un monde si opaque que personne ne sait ce que l’autre va faire, personne ne sait combien de temps il lui reste à vivre. Ni les politiciens, ni la police, ni les voleurs. Ni même Maggiori. 

Axel Moller 


[1] Germán Maggiori est une écrivain et dentiste argentin né en 1971, province de Buenos Aires. Son livre Entre hombres, publié en 2001, remporte le premier prix du concours La Resistencia/Alfaguara organisé au Mexique la même année. En raison du contexte mouvementé du pays, le livre est passé inaperçu. Grâce à la réédition réalisé en 2013, l’auteur a pu continuer à publier. En 2021, HBO produit une mini-série basée sur Entre hombres. Il est également propriétaire de la bibliothèque de Ricardo Piglia, qui était son oncle. 

[2] Boîte de nuit

[3] Voleurs