La vie même. Ricardo Piglia, Los diarios de Emilio Renzi (Trois tomes, non traduits :2015, 2016, 2017) (Arg) par Francisco Izquierdo-Quea

Ricardo Piglia, Los diarios de Emilio Renzi (Trois tomes, non traduits : 2015, 2016, 2017)

La vie même

La publication d’un journal intime comporte différentes étapes, toutes resserrés dans le travail final d’édition d’un contenu déjà élaboré au fil des années. Réécriture, suppression et expansion du texte sont les actions que les écrivains sont communément obligés d’affronter avant d’exposer le résultat final aux lecteurs. 

Qu’est-ce-qui fait qu’un écrivain laisse de côté son travail esthétique de fiction pour passer à l’exposition d’un témoignage personnel de sa propre vie ? La réponse à cette question peut bifurquer en différentes explications. Il suffit d’avoir à l’esprit que la tradition du journal est présente dans de nombreux exemples notables au sein de la littérature latinoaméricaine : Macedonio Fernández, Horacio Quiroga, Gabriela Mistral, Alfonso Reyes, Alejo Carpentier, Lezama Lima, José María Arguedas, Octavio Paz, Julio Ramón Ribeyro, Bioy Casares, Alejandra Pizarnik, et récemment l’infraréaliste péruvien José Rosas Ribeyro. Los diarios de Emilio Renzi, œuvre majeure et monumentale de Ricardo Piglia (Adrogué, 1941 – Buenos Aires, 2017), réussit à embrasser le travail prolifique et soigné de l’écrivain argentin. 

Divisé en trois volumes (Años de formación, Los años felices et Un día en la vida), la lecture de ce texte permet de nous replacer devant le discours critico-littéraire le plus essentiel de Piglia, un discours déjà présent dans ses œuvres de fiction, surtout dans Respiration artificielle et Cible nocturne. Situés entre les années 1957 et 2015, nous, lecteurs, sommes témoins de comment, au fil du temps, la vocation de quelqu’un peut s’apparenter à la décision de devenir écrivain, ou au fait de dédier sa vie au travail littéraire de plusieurs façons : l’enseignement, le journalisme, l’édition, l’écriture. D’autres facteurs, plutôt personnels, sont orientés en axes médiatiques autour d’Emilio Renzi : la famille, les contextes divers, la politique, l’exil, les idées, les amours et le travail. 

À la manière d’un voyage sentimental, le texte expose un haut concept d’amitié et de camaraderie, les différentes dictatures argentines, les premiers voyages de Piglia aux Etats-Unis, sa focalisation sur l’écriture de ses nouvelles et romans, la Guerre des Malouines, le retour de la démocratie en Argentine et l’ancrage de la social-démocratie dans la majorité des milieux de gauche. Nous observons aussi son succès en tant qu’écrivain mais aussi en tant qu’enseignant, porté par son expérience de professeur dans les universités américaines de Harvard et Princeton. 

Ainsi, ses dernières années, celles de la retraite, aboutissent au retour définitif de Piglia en Argentine et au dernier volume de ces journaux intimes, où la longue maladie dont il a souffert est présente, ainsi que sa passion pour la lecture et son inébranlable décision d’écrire jusqu’au bout. Le lecteur ressent une certaine émotion, non seulement pour le long chemin parcouru et enduré, mais aussi pour le dévouement et l’amour du travail réalisé par un écrivain. Los diarios de Emilio Renzi sont le processus, la transformation de doutes en certitudes, mais surtout la consolidation de comment vivre (et aussi survivre) de l’art. 

Francisco Izquierdo-Quea