Le Président de César Aira (Arg) par Lola Albarracín

Le Président, César Aira, traduit de l’espagnol (Argentine) par Christilla Vasserot, Christian Bourgois, 2022, 128p. [El presidente, Mansalva, 2014]

La réalité est une vaste plaisanterieAinsi peut-on résumer Le Président, roman de César Aira paru chez Christian Bourgois et traduit par Christilla Vasserot. Un roman bref comme une courte escapade, une bouffée d’air frais et loufoque venue d’Argentine. L’escapade nocturne est celle du Président argentin s’échappant par la petite porte à l’arrière de la Casa Rosada. Passé minuit, ce Cendrillon insolite longe les rues désertes du centre et part à la découverte des quartiers populaires : le monde qu’il préside s’ouvre alors à lui.

Personne dans la rue ne reconnaît le Président, personne ne connaît la mélodie qu’il fredonne – ce requiem de son enfance, qu’il chantait avec le petit Birrete, son ami pauvre, un gamin des rues dont la disparition mystérieuse ne cesse de le hanter. Celle-ci a provoqué chez le futur Président une crise profonde, la prise de conscience de leurs mondes éloignés et le choix d’une carrière politique pour comprendre les pauvres et leur désir d’échapper à la réalité, alors que les riches – parce qu’ils vivent dans un monde de fantaisie – aiment la réalité.

Les obsessions sont des prisons, dans lesquelles on tourne en rond. Et l’obsession première du Président est bien l’énigme du réel, celle qui sépare les riches et les pauvres, celle dont la clé est détenue par les femmes aimées. Xenia, l’amante au corps souple et voluptueux : est-ce qu’elle l’aime parce qu’il est Président ? Impossible de le savoir, à moins de… À moins de faire examiner l’intérieur de son corps à l’hôpital ! Et qu’en est-il de la mystérieuse Rabina aux pouvoirs surnaturels, ayant initié le Président à la vie sexuelle, « la seule vie qu’il ait jamais eue » ? Toutes deux forment des personnages insaisissables, des silhouettes fantomatiques sans épaisseur apparente mais, comme Aira a eu l’occasion de l’affirmer, les personnages sont pour lui secondaires. Seul le mouvement l’intéresse et, dans ce roman fou, la spirale narrative donne parfois le tournis.

Au final, ce drôle de conte ravira celles et ceux qui rêvent d’un Président qui a mal aux pieds et préfère aux fastes dorures du Palais la petite porte de l’anonymat ; un Président qui fait don de son salaire aux enfants pauvres et ouvre discrètement une petite épicerie pour subvenir à ses besoins… Bref, un être humain qui veut aimer, « aimer comme une bête sauvage ». Aux lectrices et aux lecteurs qui cherchent à démêler le vrai du faux, adeptes des intrigues logiques, des certitudes offertes par les récits linéaires : passez votre chemin. Comme à son habitude, Aira s’amuse à provoquer chez le lecteur la déroute, une joyeuse confusion qui trouble la pensée, les sens.

« Le réel, tout le monde le sait, n’est qu’une suite d’obstacles », affirme le Président. Pourquoi en serait-il autrement de la littérature ?

Lola Albarracín