Luis Cardoza y Aragón: antología de cosas pasajeras (Guat) par Javier Payeras

Anthologie de choses passagères : 

à propos de l’auteur guatémaltèque Luis Cardoza y Aragón

Luis Cardoza y Aragón (Antigua Guatemala, 1901 – México, 1992), poète, critique d’art et essayiste a développé presque toute son œuvre en exil après le renversement du gouvernement démocratique de Jacobo Árbenz Guzman. Son travail, publié entièrement au Mexique, est presque inconnu en Europe, bien que Federico García Lorca lui consacre, Pequeño poema infinito[1].

Je commence à écrire cet hommage à Antigua Guatemala par une magnifique et froide journée de janvier […] J’ai sur moi un livre pour préparer quelques cours que je vais bientôt donner. Curieusement, c’est l’œuvre poétique complète de Luis Cardoza et Aragon[2]. Ce n’est pas un hasard : quatre cours intitulés « Poésie et Mémoire » –avec des majuscules. Tout ce que Cardoza écrit découle de l’image de carte postale de la colonie […]. Ce grand poète est né dans un milieu petit-bourgeois et conservateur, celui de l’accès à l’enseignement universitaire, de la religion, de la condensation des bonnes manières et de la discipline domestique. Disons qu’il n’était pas exactement Arthur Rimbaud, Antonin Artaud, Luis de Góngora ou François Villon. L’évasion insistante et son rendez-vous constant avec la classe des vagabonds, des rebelles, de ceux qui ont été lynchés ou ont disparus le rapprochent d’une compréhension claire de sa propre entropie. Cette dissonance se retrouve dans le clivage de son ego, dans une sorte de violence métaphorique et sublime, car sa connaissance érudite et l’intense flux de ses mots conduisent immédiatement à déduire que ses vices ne lui ont jamais coûté. En réalité l’écriture était pour lui le meilleur moyen pour communiquer directement. Il est tellement enviable de ne pas avoir toutes ces taches de culpabilité que l’alcool ou la drogue laissent dans nos vies ; mais sans aucun doute la photo, que j’ai à la tête de mon lit, celle que Sergio Valdés Pedroni a prise avant la mort du poète, je ne l’enlèverai jamais, parce que Luis Cardoza m’a comblé. Ses livres continueront à me hanter, que je dorme ou que je souligne ses phrases. Sa vocation m’a amené à revoir lentement mes propres idées. […]. La lecture des poètes maudits et étrangement déracinés que le poète propose dans toute son œuvre est très éloignées de ce qui était sa propre vie ; il est alors possible de parler d’une scission entre créativité rebelle et vie contemplative […].

Luis Cardoza y Aragón se met en retrait lorsque les chefs de guerre et les ardeurs impérialistes de l’Union soviétique se lèvent ; il décide alors de fuir le feu et s’immerge pleinement dans la poésie, sans laisser de pamphlets compromettants aux policiers de la pensée. Il s’oppose avant tout le monde à la grande machine d’endoctrinement et de planification, et même aux surréalistes les plus dogmatiques, ceux qui n’ont jamais compris que leur seul prophète authentique était Antonin Artaud, qui a trouvé en Cardoza un admirateur et un ami constant […].

Luis Cardoza y Aragón rassemble les choses qui passent et les rend extraordinaires ; c’est pourquoi il n’appartient à aucune école ni à aucun ordre, il s’absente même de l’époque dans laquelle il a vécu. Aujourd’hui, son œuvre poétique qui trône sur mon bureau continue à me dire des choses me ramenant à ce vieil étonnement qui me fait croire en la vie. 

Antigua Guatemala 14 janvier 2022

Javier Payeras 

Traduction et édition L’autre Amérique


[1] Poème écrit par Federico García Lorca entre 1929 et 1930 lors de son séjour à New York.

[2] Luis Cardoza y Aragón, Obra poética, Consejo Nacional para la Cultura y las Artes CONACULTA, 1977