Rien à perdre de Roberto Montaña (Arg) par Jonathan Barkate

Roberto Montaña, Rien à perdre, traduit de l’espagnol (Uruguay) par René Solis, Métailié, 2021, 158 p. [La noche en la que nos encontró el pasado, 2021]

Qu’a-t-on à perdre quand on est passé à côté de sa vie ?

Trois quinquagénaires qui s’étaient perdus de vue depuis le lycée s’offrent une virée hors de Buenos Aires en direction d’une station balnéaire uruguayenne. Wave a invité ses anciens condisciples à l’accompagner, le Nerveux s’est laissé convaincre sans cesser de bougonner et Mario s’est proposé de mener la fine équipe à bord de sa vieille Ford Taunus, qu’il ne vendrait pour rien au monde. Personnage à part entière du roman, la mythique voiture est l’un des plus importants. Elle est aussi décatie que les trois pieds nickelés qui, comme elle, ont vieilli, comme en témoignent les problèmes de vue, de cœur, de hanches et de démarreur de l’une et des autres. La voiture symbolise l’état de ces hommes cabossés, dont l’existence est à l’arrêt, mais que des événements imprévus et qui les dépassent vont ramener à la vie. Tout commence vraiment quand Mario et le Nerveux comprennent que la partie de campagne à laquelle ils pensaient avoir été conviés est en réalité une couverture pour que Wave convoie de la drogue en Uruguay. Le passage de la frontière représente le carrefour où les personnages sont arrivés dans leur vie. Ce voyage marque pour chacun le moment charnière où les illusions et les rêves de jeunesse dont ils sont prisonniers peuvent encore se réaliser. C’est du moins ce que Wave, Mario et le Nerveux espèrent. Leur soif de renouveau trouve une incarnation concrète en Fátima, une jeune femme prête à accoucher qu’ils rencontrent sur le bord de la route.

Ce roman pétri d’humour détourne avec gourmandise les codes du roman noir pour multiplier les rebondissements inattendus, cocasses ou franchement délirants, ce qui conduit le lecteur à s’attacher aux quatre branquignols un peu salauds qui partagent la Taunus. La verve et l’imagination de Roberto Montaña culminent dans deux scènes d’anthologie mettant les antihéros aux prises avec de dangereux narcotrafiquants. Très cinématographiques, ces deux scènes résonnent avec le dénouement, dans lequel l’auteur propose une réflexion sur le rêve et le passé. La leçon du roman conduit les personnages et le lecteur à faire face à leur passé pour ne pas se laisser dicter leur présent.

Jonathan Barkate