Pilar Quintana, Nos abîmes, traduit de l’espagnol (Colombie) par Laurence Debril, Calmann-Lévy, 2022, 320 p. [Los abismos, Editorial Alfaguara, 2021]
Dans Los abismos, Pilar Quintana nous projette dans le Cali des années 1980 (qui est celui de son enfance) et nous plonge dans une quête de sens sur les blessures de l’enfance, la maternité et le désamour familial.
L’histoire est relatée du point de vue d’une fillette, Claudia, qui raconte la quotidienneté au sein du couple formé par ses parents. Au fil des pages, Claudia affronte les « abîmes » familiaux : ceux qui hantent sa mère, une femme astreinte et rebutée par la maternité, qui préfère se passionner pour les reines de beauté au destin tragique ; ceux qui la séparent de son père, un homme absent et désemparé face au délitement de son couple.
Page après page, une sourde tension grandit chez les lecteurs et les lectrices, à mesure que la mère se claquemure dans un état dépressif que rien ne semble pouvoir guérir. En écho à cet état, la fillette développe une hantise mêlée de fascination pour les précipices ; elle se confronte à son propre vide intérieur lorsqu’elle ressent la solitude et la peur face à l’indifférence et la souffrance de sa mère.
Dans un langage simple et poétique évoquant celui de l’enfance, Pilar Quintana formule des questions profondes sur les affects intrafamiliaux. Contrainte au deuil d’une figure maternelle idéalisée, Claudia fait acte de résilience, et peuple ce vide intime grâce à l’imagination – en côtoyant notamment une nature tropicale plus attrayante, plus maternante et plus expressive que ses proches.
En creux, l’autrice semble aussi nous interroger sur la difficile quête de modèles identificatoires pour une petite fille enserrée par des figures féminines en perdition psychique et émotionnelle, astreintes par les normes sociales et dont l’indépendance est empêchée.
Sara Tlili