Carne de perra de Fátima Sime par Antoine Barral

Fátima Sime, Carne de perra, Editorial LOM, Santiago de Chile, 2009, 120 p. [Inédit en français]

Sous la dictature de Pinochet, Maria-Rosa, une jeune infirmière qui, pendant ses études, était tombée amoureuse d’un militant révolutionnaire d’extrême-gauche, est arrêtée par la police, bien qu’elle ait perdu cet homme de vue. Après quelques jours aux mains de ses bourreaux, elle est « secourue » par Kranz, un officier qui se l’approprie pour en faire son instrument. Une relation cruelle et perverse s’installe entre eux tandis qu’il la garde prisonnière à l’isolement dans un cabinet de toilette, alternant « gentillesses » et « punitions », jusqu’à la briser et à faire d’elle sa « poupée », tandis qu’elle l’appelle son « Prince ». On pense parfois au film Portier de nuit, et certains passages sont assez éprouvants. C’est ainsi qu’elle est amenée à servir d’infirmière à certains torturés pour éviter qu’ils ne meurent trop vite, puis intégrée à un mystérieux « groupe d’opérations spéciales » qui assassine discrètement des opposants. Jusqu’au moment où l’on se débarrasse d’elle en l’envoyant en Suède. Elle passe alors de longues années parmi les nombreux exilés chiliens. Après la dictature elle revient au Chili, reprend son travail d’infirmière hospitalière et vit seule, trop abîmée moralement pour oser renouer avec sa famille. 

Un jour apparaît dans son service un malade en phase terminale d’un cancer du larynx, incapable de parler. Elle reconnaît en lui son « Prince » et tortionnaire. Il la reconnaît aussi et un jour lui écrit sur une ardoise cette phrase : « Tue-moi, toi tu peux ». Leur relation de pouvoir est inversée, c’est désormais lui qui est à sa merci.

La narration est généralement au présent, brute et sans fioritures. Le récit alterne des chapitres évoquant le passé, la détention, la dictature, et d’autres situés dans un temps plus proche de nous, post-dictature. Ce style très sec souligne la dureté des situations et fait de cette lecture un moment fort. Encore une occasion manquée par l’industrie de l’édition française ?

Antoine Barral