Petits cimetières sous la lune de Mauricio Electorat par Luis Samaniego

Mauricio Electorat, Petits cimetières sous la lune, traduit de l’espagnol (Chili) par Mauricio Electorat, Métailié, 2020, 272 p. [Pequeños cementerios bajo la luna, Alfaguara, 2018]

Emilio part à Paris pour entreprendre des études de linguistique. Son choix serait anodin si nous ne prenions en compte sa famille : de bons commerçants avec une inclination pinochetista. Malgré les réticences de son père, Emilio part avec l’accord de ce dernier et un petit chèque lui permettant de s’installer en France. Peu après, la rebelle tante Amalia contribue à assurer la subsistance du jeune étudiant en France. Cependant, ces ressources vont s’avérer insuffisantes et c’est ainsi que « tout va commencer ». Emilio trouve un petit travail le week-end comme veilleur de nuit dans un hôtel à Montparnasse. À travers cette expérience, il va rencontrer le monde nocturne – les bas-fonds parisiens, des journalistes connus et des exilés chiliens – et verra les choses de la vie sous « la lumière de la lune ».

Ce petit boulot, qui lui permet de poursuivre ses études, accentue la distance avec sa famille et son pays, car il refuse de rentrer pour reprendre les affaires de son père en tant que fils aîné et suivre ainsi une vie toute tracée. Il préfère accepter, malgré sa répugnance, ce poste subalterne. Les anecdotes relatives à ce passage forcé et ses souffrances amoureuses ne sont qu’un préambule avant d’affronter un passé difficile auquel son père est lié.

Nous comprenons mieux les contradictions internes d’Emilio en découvrant l’enthousiasme de sa famille le jour du coup d’État de 1973 et, des années plus tard, a contrario une exaltation similaire quand Emilio suit, auprès de ses amis exilés, les résultats du référendum qui éloigne Pinochet du pouvoir. Cependant, le roman ne prétend pas expliquer une période historique. Il s’agit plutôt d’un drame familial qui montre comment la classe moyenne et industrieuse au Chili s’est fait manipuler par un groupe de gangsters.

Le récit est entrecoupé de va-et-vient dans le temps, contribuant au dynamisme narratif, sans toutefois peser sur la compréhension de l’histoire. Les multiples déambulations dans Paris sont un clin d’œil, évident et voulu, aux romans latino-américains situés dans cette ville, notamment à Rayuela (Marelle) de Julio Cortázar.

Tout au long du roman, apparaissent des rapports différents entre les personnages et l’espace selon les pays où ils se situent. Dans l’histoire, beaucoup de vies et leur univers respectif se trouvent concentrés à Paris. Quand le récit prend place au Chili, les personnages se donnent rendez-vous à Santiago, mais aussitôt ils partent en voiture pour continuer leurs discussions dans des endroits lointains aux paysages époustouflants : des lacs, des montagnes et des villages éloignés. Ce n’est pas pour rien que Chili signifie en quechua « frontière ».

Néanmoins, il est regrettable que les personnages féminins ne jouent pas un rôle plus important tout au long du livre. La tante Amalia cède la place à Chloé, l’amie d’Emilio, et à la disparition de celle-ci, ce vide nous questionne même sur la pertinence de sa présence dans le récit. En réalité, l’activité très secondaire d’autres personnages féminins donne l’impression qu’elles sont dignes d’attention pendant le temps où elles sont ou restent attractives.

Par ailleurs, la préférence du monde masculin est plus saillante au moment de la mort des parents d’Emilio. Le protagoniste rentre au pays dès qu’il apprend le décès de son père et en profite pour finir de régler ses comptes avec le destin à la manière de Scorsese. Cependant, sa mère ne reçoit pas le même traitement. Cette réaction, il faut la comprendre davantage comme un rejet contre l’élitisme que représente sa génitrice, élitisme résumé dans son amour pour « la modération requise en tout » et son amour pour « les nez aristocratiques ». Coup dur à encaisser pour Emilio qui, comme son père, a un nez court et rond.

Luis Samaniego