Roberto Bolaño, Les Détectives sauvages, traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio, Éditions de l’Olivier, 2021, 768 p. [Los detectives salvajes, Anagrama, 1998]
Le livre, qui passe aujourd’hui pour un monument de la littérature contemporaine, comprend trois grandes parties. La première et la troisième parties suivent la chronologie d’événements relatés dans son journal par le jeune étudiant Juan García Madero.
Ce dernier préfère la poésie au droit. C’est à l’UNAM (Université nationale autonome du Mexique), en 1975, qu’il croise le chemin des« réal-viscéralistes, ou des viscérréalistes ou même vicerréalistes comme ils aiment parfois s’appeler ». *
On le suit dans sa formation littéraire, aventureuse et érotique.
Le jeune Madero se trouve embarqué dans un périple fou et déjanté en compagnie de Lupe, prostituée poursuivie par son proxénète et surtout d’Arturo Belano et Ulises Lima. Ces deux-là sont de jeunes poètes subversifs, animateurs du mouvement réal-viscéraliste, héritier d’un mouvement d’avant-garde des années 1920, le « stridentisme », mais aussi une référence au surréalisme français.
Le but de leur quête est de retrouver la mystérieuse Cesárea Tinajero, tout à la fois poétesse pionnière et guérisseuse marginale. Elle a disparu semble-t-il près de la frontière dans le désert du Sonora.
La partie centrale du livre, la plus dense et la plus longue, est consacrée à « l’enquête des détectives sauvages », destinée à comprendre les parcours d’Ulises Lima et d’Arturo Belano durant leur périple d’une vingtaine d’années autour du monde à la poursuite de Cesárea.
Mais qui sont les « détectives sauvages » ?
De mystérieux enquêteurs, jamais clairement identifiés recueillant les nombreux témoignages qui permettraient de recomposer les vies d’Arturo Belano et Ulises Lima et de comprendre leur rapport à la mystérieuse poétesse.
Laissons-nous embarquer dans cette quête qui transformera l’aventure d’Arturo et Ulises en épopée poétique.
Cela ressemble à un « thriller boiteux », on passe d’une vie à l’autre, les voies sont multiples.
On peut comprendre que ce périple unique, épique, excessif, fasse exploser une certaine idée du roman. Nous voilà perdus dans un labyrinthe, pris dans un rythme où l’on se demande parfois qui parle. Le lecteur a parfois la sensation de s’égarer, mais ce n’est pas grave. S’égarer peut-être aussi une grâce.
Arturo Belano et Ulises Lima sont l’incarnation même de la poésie, d’une vie pleine, rebelle et avant-gardiste. Une vie pleine de livres, de voyages, de rencontres, d’excès.
Une vie qui prend la dimension d’une épopée : Ulises ou Ulysse, il n’y a pas de hasard.
En tout cas, c’est sûrement irrévérencieux, jamais aigre ou cynique, jubilatoire et plein d’énergie. Tant qu’à être condamné à aller de l’avant, autant le faire dans la joie.
Les infra-réalistes des Détectives sauvages, jeunes gens sans illusion, peuvent incarner une forme de contre-culture, la facette quasi underground de Roberto Bolaño.
On devine les influences de Kerouac et de Rimbaud, que Bolaño adorait.
Les Détectives sauvages peut-être lu comme le périple, l’odyssée de poètes témoignant de leur façon d’être au monde, combattants de l’impossible.
« La vie, il faut la vivre, voilà en quoi tout consiste, simplement. Un vagabond… me l’a dit… La littérature ne vaut rien. »*
La littérature peut-elle changer le monde ? La grande question.
Philippe Bouverot