Un regard de sang de Lina Meruane par Sofía Linares Traiman

Version en espagnol

Lina Meruane, Un regard de sang, traduit de l’espagnol (Chili) par Serge Mestre, Grasset, 2018, 224 p. [Sangre en el ojo, Penguin Random House Grupo Editorial, 2013]

Une jeune femme. Une jeune femme dans un pays étranger. Une jeune femme dans un pays étranger devient peu à peu et irrémédiablement aveugle…

Lina est la protagoniste de ce roman et c’est aussi le prénom de l’autrice, ce qui crée déjà en soit un sentiment de proximité entre les deux femmes. La narration astucieuse et originale à la première personne déroute car les pensées vont du présent au passé et dans l’imaginaire sans aucune limite, avec suffisamment de clarté cependant pour que nous ne nous perdions pas, comme dans une histoire spéculaire.

Un regard de sang décrit dans une langue directe et crue le désespoir et la résignation d’une personne qui perd progressivement la vue. Si l’on ajoute à cela la complexité de vivre dans un pays qui n’est pas le sien, même si c’est par choix, et si l’on ajoute à cette réalité les nuances apportées par Ignacio, le compagnon de la protagoniste, et par sa famille restée au Chili, on obtient une combinaison de suspense et de curiosité très réussie qui nous tient en haleine jusqu’à la fin.

Ce qui ressort de ce roman, c’est la construction de son personnage, Lina. On souffre avec elle, on s’identifie à sa tragédie. Une anti-héroïne totale qui, bien qu’elle soit parfois gênante, manipulatrice et sarcastique, n’amène pas le lecteur à la juger, mais à se demander comment il agirait dans une telle situation. Son atout est qu’elle n’essaie pas d’éblouir ou de convaincre, elle s’exprime simplement, elle raconte ce qui lui arrive et ce qu’elle ressent.

Cette façon de relater l’histoire a quelque chose de rafraîchissant, car nous avons l’impression de lire non pas un roman, mais les pensées de quelqu’un. C’est comme si nous entrions dans l’intimité et la psychologie torturée d’une personne. Elle est bel et bien torturée, car dès le début, nous nous rendons compte qu’il n’y a pas de happy end possible. Une seule fin est envisageable et il n’y a pas de lumière au bout du chemin. C’est cette touche de réalité qui, selon nous, ne déçoit pas. Le livre est comme un miroir de la vie et cela joue en sa faveur, car au lieu de nous emmener dans un monde merveilleux avec un dénouement heureux, il parvient à nous faire réfléchir sur des questions fondamentales. La manière dont nous entretenons des relations avec notre famille et notre partenaire d’une part, et le lien émotionnel avec notre corps et notre santé, d’autre part. Tout ce que nous prenons pour acquis peut changer en un instant.

Sofía Linares Traiman

Traduction L’autre Amérique