Luna ácida de Mauricio Torres Paredes par Coralie Pressacco

Mauricio Torres Paredes, Luna ácida, éditions Quimantú, 2019, 66 p. [Inédit en français]

Luna ácida est le nom d’un collectif d’art formé par le poète chilien Mauricio Torres Paredes et plusieurs de ses amis au début des années 1990, dans un quartier du sud de Santiago. Ce cercle d’artistes s’adonnait à des activités en tout genre : ateliers, rencontres, émissions de radio, publications dans diverses revues ou encore inscriptions murales dans les rues de la capitale chilienne. Un nom – pour le moins mystique – que l’auteur décida de reprendre près de trente ans plus tard pour baptiser son tout dernier recueil de poèmes.

Empreinte d’un ton nostalgique, la poésie de M. Torres Paredes nous conduit à explorer l’univers à la fois intérieur et extérieur de la voix poétique, où le mot est synonyme de (re)création et de résistance. Une poésie dominée par la mémoire du passé, un passé qui nous ramène inéluctablement au temps présent. La douleur, l’amour, la nature, la vie quotidienne ou encore la mort, sont autant de thèmes qui ont inspiré le poète dans l’écriture de ce recueil.

Par le biais d’images représentant un monde sur le point de s’écrouler, de s’autodétruire, la voix poétique dresse le portrait d’un Chili meurtri. Un hymne de guerre poétique résonne et nous transporte sur le champ de bataille où reposent les corps des « poètes abattus », ces voix sacrifiées comme celle du martyr Victor Jara, chanteur-compositeur torturé et assassiné quelques jours après le putsch du général Pinochet.

Les Noirs, les Indiens, se font entendre par leurs cris, revendiquant leur « chamanique négritude ». L’on ne peut parler de minorités au Chili sans évoquer les Mapuches, ces « gens de la terre », peuple autochtone de tradition orale qui n’a cessé de lutter pour défendre son bien le plus précieux : la terre. Après avoir opposé une forte résistance lors de la conquête du Chili par les Espagnols au XVIe siècle, ce groupe ethnique, victime de discriminations raciales et sociales, entreprend depuis lors un combat permanent contre l’État qui cherche à lui dérober ses terres ancestrales.

La question de l’effondrement environnemental est également soulevée tout au long du recueil, en particulier dans le poème intitulé « Mapocho ». Le fleuve Mapocho – ce cours d’eau long de plus de cent kilomètres, qui traverse la ville de Santiago – apparaît complètement ravagé par la pollution – héritage du capitalisme – à tel point que plus aucune issue n’est possible.

Alors comment arrêter cette machine infernale ? Par quel moyen rompre ce cercle destructeur ? Il semble que la poésie – et l’art en général – peut apporter une réponse à ce questionnement. S’il lui est impossible d’échapper à son temps, l’artiste contemporain a néanmoins le pouvoir de chercher des points de fuite, dans l’espoir de transformer la réalité.

Coralie Pressacco