Señales que precederán al fin del mundo de Yuri Herrera par Carmen Vivas

Yuri Herrera, Signes qui précéderont la fin du monde, Gallimard, 2014, 128 p. [Señales que precederán al fin del mundo, Periférica, 2009]

À notre époque, où le mot mondialisation passe de main en main, où les frontières semblent souligner de plus en plus clairement l’absence de péage entre les lieux où s’amalgament les cultures, les déplacements des individus pourraient être assumés comme des événements anodins. En ce sens, nous nous doutons que la migration, engagée sur une inexorable voie vers la naturalisation, se détache de l’image du traumatisme que cause l’absence de solidité de l’enracinement dans le national ou le local.

Signes qui précéderont la fin du monde de Yuri Herrera raconte l’histoire de Makina, une Mexicaine qui décide de traverser la frontière pour rechercher son frère, qui est parti et dont on n’a aucune nouvelle. Un voyage que Herrera élabore comme une métaphore du Mictlán de la mythologie précolombienne.

Makina est décrite comme une héroïne qui essaie de couler des jours heureux sans se laisser contaminer par la méchanceté du monde qui l’entoure. Moralement irréprochable et puissante, elle se voit dans l’obligation de faire face à tout un contexte qu’elle doit utiliser pour retrouver son frère. Rappelons le conseil que lui donne sa mère lorsqu’elle la charge d’aller le chercher et de lui apporter un message. « Vaya a la ciudadcita, acérquese a los duros, ofrézcales servirles, yái que le echen una mano con el viaje[1] ».

Les références géographiques de Makina vont du trou au Gran Chilango ou au  Gabacho[2]… Elles composent toutes un univers de trafiquants de drogue, de corps, de promesses, une normalisation des formes de promotion sociale, qui passent par l’acceptation du délit. On voit donc clairement la corruption de ce fragile corps social qui s’est construit et se tisse dans un abécédaire de délinquants qui disparaissent dans l’anonymat. Rappelons que les personnages avec lesquels Makina négocie n’ont pas de nom : monsieur H, monsieur W, monsieur Q, monsieur P…

Le pouvoir des personnages qui dirigent le monde que parcourt Makina se transmet dans ce que Carlos Monsiváis appelle « la tradition de l’impunité » et qu’il définit comme un continuum. Un continuum de forfaits qui débute à Mexico et se poursuit tout au long de son voyage aux États-Unis.

À la fin du récit, Makina retrouve son frère, qui a renoncé à son identité en se prêtant à une substitution. La tromperie évite à un jeune nord-américain d’aller à la guerre, le frère de Makina accepte de partir sous les drapeaux à sa place, pour obtenir la nationalité du déserteur caché et rester ensuite aux États-Unis. À nouveau, la survie oblige à enfreindre la loi, et en plus, le rejet de ses racines implique une subordination. Soit la négation complète de l’individu : effacé tant par la violence que par la tentative d’y échapper.

Carmen Vives


[1] « Allez dans la petite ville, approchez les durs, proposez-leur de les servir et ils vous donneront un coup de main pour le voyage. »

[2] Les États-Unis.


Cette critique fait partie de l’essaie : La féconde multinationale de la peur : une lecture de la représentation de la violence dans la littérature de Juan Villoro, Israel Centeno et Yuri Herrera de Carmen Vives. Il est disponible dans son intégralité sur ce lien.