Alberto Fuguet, Mala onda, Editions Debolsillo, Chili, 2016, 320 p. [Inédit en français]
Ce roman chilien évoque la vie de lycéens de classes sociales moyennes ou supérieures au début des années 1980. Éducation sentimentale et sexuelle, prise de conscience politique, découverte des drogues, sont quelques-unes des expériences qu’ils ont en commun. La situation à cette époque est difficile au Chili, sous la botte de la dictature de Pinochet, mais celle-ci garantit une certaine prospérité pour les catégories sociales associées au pouvoir.
Mala Onda, c’est une dizaine de jours dans la vie de Matias Vicuña, lycéen de bonne famille de Santiago, une semaine de crise et de ruptures, à la veille du référendum organisé par la dictature, en septembre 1980, en vue de se maintenir au pouvoir. Le récit commence à la première personne, le dernier jour d’un voyage de classe au Brésil, occasion d’un grand défoulement pour ces gosses de riches : plage, fêtes, flirts, sexe, cachaça et cocaïne. Matias n’a aucune envie de retourner à l’ennui de Santiago du Chili, ni de retrouver sa famille.
De retour au bercail on découvre la famille : le père, quadragénaire en plein démon de midi ; la mère, bourgeoise trompée ; mais aussi la bonne, les sœurs, le grand-père maternel, juif hongrois rescapé et converti au catholicisme, fierté de Matias, bien que la mère fasse tout pour occulter cette origine juive.
À mesure que la date du vote approche, le débat sur le « oui » et le « non » est de plus en plus présent, mais on évolue dans un milieu acquis au « oui ». Pourtant Matias entretient une relation sentimentale et platonique avec sa prof de lettres. Lorsqu’il la découvre quelque peu antisémite, la déception est cruelle et il rompt avec elle. Il cesse alors d’aller au lycée, erre toute une journée en ville, puis rentre à la maison pour une soirée organisée par ses parents dont il ne supporte pas les invités. C’est alors qu’un accrochage avec sa mère le pousse à la fugue en pleine soirée, après un détour par le portefeuille de son père pour avoir de quoi survivre.
Commencent alors deux jours d’errance dans une ville dont il découvre qu’il ne la connaît pas vraiment : les quartiers pauvres et le centre-ville en proie aux violents affrontements entre forces de l’ordre et partisans du « non ». Le hasard l’amènera à rencontrer son grand-père, puis c’est le père qui le retrouvera, ce sera l’occasion d’une surprenante réconciliation…
Malgré la dureté de ce qui est raconté, la lecture est prenante, le langage est cru et direct et la tension est constante. La construction est assez linéaire : chaque chapitre est daté avec précision, sans aucune monotonie, notamment par le recours, à l’intérieur de chaque journée, à un jeu d’avance et de flash-back rapide, et aussi à des changements de personne dans la narration, tantôt la première tantôt la seconde, et beaucoup de dialogues, l’ensemble étant très cinématographique, évidemment.
Encore un de ces romans importants de l’Amérique latine actuelle dont on ne comprend pas pourquoi l’industrie éditoriale française ne s’y est pas intéressée… (Alors qu’il est déjà traduit en anglais, allemand, portugais…)
Antoine Barral