Siete casas vacías de Samanta Schweblin par Julie Werth

Siete casas vacías, Samanta Schweblin (Argentine), Páginas de espuma, 2015, 128 pages [Inédit en français], National Book Award 2022 de l’œuvre traduite en anglais.

Ces sept récits sont autant de déclinaisons ironiques de l’adage bien connu « home sweet home » et illustrent l’enfer que peut représenter le huis clos domestique. Les personnages cherchent à fuir la rigidité et l’ennui de l’enfermement quand ce n’est pas le quotidien lui-même qui les fait basculer dans la folie par l’irruption d’événements aussi étranges qu’inexplicables. L’autrice, expérimentant elle-même la vie dans un autre pays au moment de l’écriture, imagine des objets qui tour à tour disparaissent, sont rangés, cherchés, empaquetés, exhibés comme autant de manifestations de l’instabilité de l’existence et des contours flous de ses repères rassurants ; certains personnages quittent leur domicile ou préparent leur départ, d’autres sont en transit entre deux villes ou cherchent à s’introduire chez les autres. Les personnages fuient volontairement ou involontairement un espace réel ou mental qu’ils ne supportent plus. Ces sept maisons vides[1]sont à la fois une projection du désir des personnages de s’extraire de cet environnement et la métaphore du non-sens de leur existence.

S’inscrivant dans la tradition du récit fantastique européen du XIXe siècle et dans la longue lignée des maîtres argentins du récit court, Schweblin ménage ses effets de suspense et crée une atmosphère pesante et inquiétante au cœur du quotidien le plus banal en maintenant le lecteur dans le doute perpétuel et la confusion. Elle amplifie ses récits par ajouts de petits détails subtils qui orientent puis intriguent. Elle se nourrit aussi de la troublante figure classique du double pour la réinventer. Les personnages s’observent de près ou de loin. Il s’agit d’un jeu de fascination et de répulsion pour l’autre qui peut-être un voisin, un membre de la famille ou un parfait inconnu. Ce double est tantôt le miroir inversé de soi-même, comme dans « Para siempre en esta casa[2] », ou son portrait en creux, comme dans « La respiración cavernaria[3]», où la vieille femme harcelée se découvre en harceleuse de sa voisine. Il est même parfois incarné par le parfait opposé du personnage, comme ce mendiant rencontré par la jeune fille de « Cuarenta centímetros cuadrados[4]».

La particularité de ces récits réside surtout dans l’esquisse subtile en arrière-fond des problématiques contemporaines de l’Amérique latine qui peuvent à tout moment envahir l’intime[5] : l’irruption de la pauvreté et de la violence. La difficile communication entre les personnages, la peur qui les corsète et le basculement possible vers la folie peuvent être interprétés comme les reflets de ces angoisses de déclassement et d’accès de fureur. Schweblin interroge l’absence de normalité, l’étrange distance avec les proches et la surprenante proximité avec de parfaits inconnus.

Ce recueil de sept nouvelles inédites en français déjà récompensé par le prix international de la nouvelle Ribera del Duero vient d’obtenir le prestigieux National Book Award de l’œuvre traduite en anglais. Cela augure d’une plus large diffusion de l’œuvre dont la traduction française sera, nous l’espérons, la prochaine étape.

Julie Werth


[1] Il s’agit de notre traduction des titres puisque les récits sont inédits en français.

[2] « Dans cette maison pour toujours ».

[3] « La respiration caverneuse ».

[4] « Quarante centimètres carrés ».

[5] Ces préoccupations apparaissent aussi dans le recueil de Mariana Enríquez Lo que perdimos en el fuego.