Interview de Simón Ergas, éditeur de La Pollera

Version en espagnol

La Pollera[1] est une maison d´édition chilienne fondée en 2010 à Providencia (commune de Santiago) qui publie romans, poésie, théâtre et essais. 

L’autre Amérique : Qu´est-ce qui définit La Pollera ? Comment vous est venue l’idée de la créer ?

Simón Ergas : Il est difficile de définir notre maison d´édition étant donné qu’elle s’est transformée à mesure que nous évoluons nous-mêmes, que nous apprenons et nous lançons de nouveaux défis. Ce qui la définit, peut-être, c’est qu’elle est indissociable de l’équipe qui la représente : nous décidons du catalogue, de la fréquence de publication, des chemins que nous prendrons, le tout en fonction de nos besoins et nos aspirations. Peut-être que c’est cela qui nous rend indépendants. C’est l’équipe de la Pollera qui guide ou prend les décisions et personne d´autre.

On pourrait dire que La Pollera est née par hasard, mais nous cherchions un métier en lien avec la littérature. Mon associé, Nicolás Leyton, et moi, étions étudiants dans la même université, sur le point d’obtenir notre diplôme, et nous voulions poursuivre dans la voie qui nous plaisait, tout en cherchant à en faire notre travail. Il était professeur à l’université et moi j’écrivais – en espagnol, mais aussi en html, et je programmais des pages web. Et puis nous sommes tombés sur l’œuvre de José Edwards, un auteur de la génération chilienne de 38, ami des écrivains de cette période mais qui n’avait jamais été publié. Chez l’un de ses enfants, il y avait le matériau qui nous a permis d’obtenir une aide publique pour publier trois livres. Nos trois premiers titres, subventionnés, nous ont ouvert la voie car nous avons formé la première équipe : mon associé, le designer graphique Pablo Martínez (qui est aussi notre associé aujourd’hui) et moi-même ; nous avons aussi commis beaucoup d’erreurs, ne connaissant la distribution et la diffusion que de façon très artisanale.

Y a-t-il d’autres maisons d’édition comme La Pollera au Chili ? Quelles sont vos relations avec elles ?

SE : Bien sûr qu’il y en a. Les maisons d’édition indépendantes sont très nombreuses et celles qui sont spécialisées en littérature aussi. Cette année, la Furia del Libro[2] aura plus de 250 exposants. Nous avons dû l’organiser dans un espace plus grand.

Mais nous entretenons une certaine complicité avec plusieurs maisons d’édition, parce que nous nous connaissons personnellement et que nos catalogues se ressemblent. C’est avec Alquimia que nous avons la relation la plus étroite : nous partageons notre stand dans des salons, voyageons ensemble pour les foires internationales, et avons même obtenu ensemble des bourses pour prospecter les marchés internationaux. Nous sommes dans le contact et l’échange permanent.

Quels sont les obstacles majeurs à surmonter sur le marché éditorial chilien ? La géographie de son territoire si vaste[3] est-elle le principal défi ?

SE : L’un des plus grands défis serait de rétablir notre Foire du livre, qui est en déclin depuis des années. Elle a peu à peu perdu de son importance auprès des éditeurs, à mesure que les maisons d’édition indépendantes et émergentes se multipliaient sans trouver d’écho dans la FILSA[4]. Finalement, c’est le désintérêt des [maisons d’édition] internationales qui l’a enterrée. Notre Chambre du Livre n’a pas voulu voir venir la situation. Tout est ficelé et je ne crois pas qu’ils aient envie de faire beaucoup de changements. Je crois qu’il n’y a presque pas d’éditeurs qui soient membres de la Chambre aujourd’hui.

La géographie constitue également un défi : acheminer les livres vers les régions les plus reculées augmente le prix des livres, et c’est un problème de venir aux salons de la capitale pour les maisons d’éditions des régions les plus éloignées. Le nombre de lecteurs n’est pas très important et les éditeurs indépendants cherchent à percer sur le marché international depuis quelques années[5].

Pensez-vous que le Chili est un pays de poètes ou simplement un pays d’écrivains ?

SE : Ce qui m’a le plus surpris ces derniers temps (parce que nous sommes en train de travailler à un projet avec ses recados[6], c’est que Gabriela Mistral doit en grande partie son Prix Nobel à son œuvre en prose. Elle a publié dans la presse écrite, dans des journaux de différents pays – surtout en Amérique latine, mais aussi aux États-Unis et en Europe. Ce n’est sûrement pas la discussion que votre question visait, mais les poètes ne sont-ils pas des écrivains ? Y a-t-il des poètes qui ne soient pas écrivains ?


[1] Pollera : volaillère.

[2] « La Furie des Livres » : salon d’éditeurs indépendants et universitaires. Jeu de mot avec « Feria del libro », foire aux livres / salon du livre

[3] La distance du nord au sud du pays est d’environ 4300 km.

[4] Feria Internacional del Libro de Santiago (Foire internationale du livre de Santiago du Chili)

[5] À ce sujet, voir « Geopolítica del libro en Iberoamérica », CERLALC et Dujovne, Alejandro, in Texturas numéro 48, 2022

[6] Il s’agit du titre de ses réflexions critiques et artistiques, le terme pourrait être traduit par « messages ».